Nicolas Sanchez, avocat en droit du travail, nous éclaire sur comment la Cour de cassation a récemment assoupli les règles d'admissibilité des preuves obtenues de manière déloyale dans les procès civils. |
Opérant un revirement de jurisprudence, la Cour de cassation affirme que le juge d’un procès civil peut désormais accueillir des preuves obtenues de manière déloyale, dès lors qu’il opère un contrôle de proportionnalité entre le droit à la preuve et les droits antinomiques en cause.
Des litiges opposant employeurs et salariés
Dans ces affaires, les litiges opposaient des employeurs, ayant prononcé des licenciements disciplinaires, aux salariés sanctionnés, lesquels contestaient le bien-fondé des mesures. Les juges du fond ont fait droit aux demandes des salariés.
En effet, les preuves sur la base desquelles les employeurs fondaient leur sanction ayant été obtenues de manière déloyale, les licenciements ont été déclarés sans cause réelle et sérieuse et les employeurs ont été condamnés à indemniser les salariés.
Dans le premier pourvoi, l’employeur fait grief à l’arrêt d’appel d’avoir déclaré irrecevables des éléments de preuve qu’il présentait pour justifier le licenciement pour faute de son salarié, parce qu'ils ont été obtenus au moyen d’enregistrements clandestins.
Depuis un arrêt rendu en 2011, l’Assemblée plénière considérait qu’un juge ne pouvait pas tenir compte d’une preuve obtenue de manière déloyale, à savoir recueillie à l’insu d’une personne, grâce à une manœuvre ou à un stratagème (Cass. ass. plén, 7 janvier 2011, nos 09-14.316 et 09-14.667).
Mise en conformité avec le droit européen
Or, la Cour de cassation a décidé de mettre sa jurisprudence en conformité avec le droit européen. En effet, elle rappelle en premier lieu la position de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle estime que si le droit à la preuve, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, entre en conflit avec d'autres droits et libertés, le juge est tenu de mettre en balance les différents droits et intérêts en présence.
Elle décide en conséquence que dans un procès civil, la preuve obtenue de manière déloyale ou illicite ne doit pas nécessairement être écartée des débats. Lorsque cela lui est demandé, le juge doit apprécier si ladite preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits contraires en présence.
L’Assemblée plénière précise que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à d'autres droits à condition que cette production soit indispensable à son exercice et que l'atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.
Les limites à l’utilisation de preuves déloyales ou illicites
Dans le second pourvoi, l’employeur conteste l’arrêt de la Cour d’appel qui a considéré que la preuve tirée d'une conversation privée du salarié, par l'intermédiaire de son poste informatique de travail, a été obtenue de manière déloyale et illicite.
Saisie, la Cour de cassation rappelle qu’un motif tiré de la vie personnelle du salarié ne peut justifier un licenciement disciplinaire, sauf s’il constitue un manquement à une obligation découlant de son contrat de travail.
Considérant qu’une conversation privée, qui n’était pas destinée à être rendue publique, ne pouvait constituer un tel manquement, elle affirme que le licenciement ne peut être justifié.
Référence de l’arrêt : Cass. ass. plén. du 22 décembre 2023, nos 20-20.648 et 21-11.330.
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