Une politique d'achats responsables est aujourd’hui un levier de croissance pour les entreprises. Ils sont devenus l’une des préoccupations majeures des entreprises, principalement depuis la crise sanitaire liée au COVID-19, au conflit russo-ukrainien et aux pénuries des matières premières. Emmanuelle Jardin-Lillo, avocate en droit de la concurrence et de la distribution, et Morgane Losson, avocate en droit des données personnelles, vous expliquent comment mettre en place cette politique et ses bénéfices. |
Selon l’Observatoire des Achats Responsables, en 2021 près de 77% des organisations, publiques et privées, ont mis en place une politique d’achats responsables, dont 21% depuis la pandémie.
Politique d’achats responsables : pourquoi la développer ?
La mise en place d’une politique d’achats responsables au sein d’une entreprise lui permet d’améliorer sa performance économique et son développement en ayant recours à la maîtrise des coûts, l’optimisation de ses relations avec les fournisseurs et son innovation, ce qui améliore également son image.
Pour ce faire, l’entreprise doit revoir sa stratégie, intégrer des critères environnementaux, sociaux, et de gouvernance (critères ESG) ainsi qu’une logique de cycle de vie et de coût global dans son processus achats. Afin d’être efficiente, la politique d’achats responsables doit ensuite être déployée tant en interne qu’en externe dans les relations avec les fournisseurs. Cela passe alors par une contractualisation des enjeux environnementaux, sociaux et sociétaux de l’entreprise.
Les dispositifs nationaux existants en matière d’achats responsables
Afin d’inciter les entreprises à franchir le pas vers plus d’achats responsables, des dispositifs ont été élaborés depuis 2009, avec la Charte « Relations Fournisseurs & Achats Responsables », puis le Label « Relations Fournisseurs & Achats Responsables » (RFAR), adossé à la norme ISO 20400 sur les achats responsables, donnant aux organisations des lignes directrices pour intégrer la responsabilité sociétale des entreprises (RSE) dans leurs processus achats.
La labellisation va permettre de diffuser les bonnes pratiques à l’ensemble des services de l’entreprise ou de l’organisation et d’impliquer et responsabiliser chacun des acteurs ayant un impact dans la qualité de la relation avec les fournisseurs. L’objectif subséquent de cette labellisation est de bâtir des relations basées sur la confiance réciproque et les bénéfices mutuels.
La nécessité d’un audit préalable
Avant tout, l’entreprise souhaitant formaliser une politique d’achats responsables devra réaliser un audit sur le cadre de ses relations avec ses fournisseurs. Celui-ci vise à évaluer l’équité financière instaurée, afin d’optimiser la politique contractuelle et éviter d’éventuels déséquilibres contractuels.
Ainsi, l’entreprise devra veiller au respect des délais de paiement, vérifier si son fournisseur impose ses conditions générales d’achat et analyser les clauses contractuelles susceptibles de créer un déséquilibre dans la relation. Par exemple, il existe des clauses de résiliation, les pénalités logistiques ou encore les hypothèses de modification unilatérale du contrat.
Afin de préserver une équité financière, de promouvoir des relations durables et équilibrées et d’assurer une égalité de traitement, il est primordial que les parties collaborent.
Cette collaboration permettra d’identifier et de gérer les risques de dépendances réciproques et de prévenir les situations pouvant être préjudiciables pour l’équilibre et la durabilité des relations.
La formalisation contractuelle de la politique d’achats responsables
L’entreprise devra formaliser sa politique d’achats responsables dans sa stratégie contractuelle, ce qui peut nécessiter de faire évoluer ses contrats d’affaires par l’intégration de différentes clauses permettant d’assurer l’effectivité de la politique d’achats responsables mise en place en interne.
À ce titre, il est recommandé d’intégrer dans les contrats une clause d’éthique et de RSE permettant de contraindre le fournisseur au respect des normes RSE de l’entreprise, sous peine de sanctions contractuelles prévues et adaptées.
Mais surtout, l’objectif est de répartir équitablement les responsabilités respectives des parties afin d’anticiper tous litiges et dommages pouvant survenir et de préserver l’intérêt général. Cela passe par le développement d’une relation équilibrée et durable, basée sur la confiance et le respect réciproque entre parties prenantes.
À cette fin, il pourra être inséré dans les contrats une clause de médiation permettant d'avoir recours à un ou plusieurs médiateurs lors de la survenance d'un litige lié à l'exécution du contrat, préalablement à tout contentieux devant les tribunaux.
Une clause de bonne foi renforcée, appelée aussi clause de « best effort », sera également recommandée pour faire des parties au contrat de véritables partenaires. La coopération et le dialogue régulier permettent de renforcer la collaboration entre l’acheteur et ses fournisseurs.
Enfin, il pourra être utile dans certains cas de prévoir la possibilité de renégocier le prix afin d’anticiper, par exemple, la survenance d'évènements imprévus qui bousculeraient l’équilibre des parties et par là même l'économie générale du contrat. Une clause d’imprévision renforcée par une clause de renégociation du prix encadrant les conditions de déclenchement de la renégociation peut alors être envisagée.
A retenir
La mise en place d’une politique d’achats responsables est aujourd’hui un véritable atout pour les entreprises à l’égard des parties prenantes, permettant de renouer la confiance entre les opérateurs économiques (acheteurs, fournisseurs). Elle permet également d’améliorer son image vis-à-vis des consommateurs, ce qui constitue un avantage concurrentiel certain.
Pour la mettre en œuvre, l’entreprise doit se faire accompagner pour réaliser un audit de sa situation vis-à-vis de ses fournisseurs et pour formaliser juridiquement sa politique d’achats responsables afin de pouvoir, in fine, contractualiser sa nouvelle stratégie.
Point d'attention Achats responsables et procédure d’évaluation des tiers La procédure d’évaluation des tiers est une mesure clé des programmes de mise en conformité des entreprises au regard des obligations réglementaires qui sont susceptibles de leur incomber en matière de lutte contre la corruption (Loi Sapin II du 9 décembre 2016 – article 17), de protection des droits humains en entreprise (Loi Vigilance du 27 mars 2017) ou encore de protection des données à caractère personnel (RGPD – Règlement Général sur la Protection des Données du 27 avril 2016). Elle s’inscrit dans le prolongement de la démarche en matière d’achats responsables mise en œuvre par les entreprises. Les entreprises visées sont ainsi invitées à effectuer, en fonction du risque qui y est relié, un certain nombre de vérifications sur la manière dont les acteurs de leur chaine d’approvisionnement (sous-traitants, fournisseurs) mènent leurs activités. Ces vérifications peuvent prendre la forme d’audits sociaux et/ou environnementaux par exemple. L’enjeu pour les entreprises concernées est de définir jusqu’à quel « rang » ces vérifications doivent avoir lieu. Si la prise en compte des sous-traitants/fournisseurs de premier rang ne fait pas débat, la question se pose de savoir si les sous-traitants/fournisseurs de second rang (ou plus) doivent être intégrés dans le processus. En fonction des résultats des évaluations, il appartiendra alors à l’entreprise de décider d’entrer ou non en relation avec le sous-traitant/fournisseur concerné ou, si la relation est déjà engagée, de poursuivre cette relation ou d’y mettre fin. Le challenge est de taille, la plupart des entreprises, même de petite taille, interagissant avec de nombreux sous-traitants/fournisseurs. Conséquence positive de ce type de procédure : Les entreprises évaluées (sous-traitants/fournisseurs) seront elles-mêmes appelées à déployer « en cascade » des pratiques RSE en leur sein, leur permettant ainsi de valoriser leur image de marque auprès de leurs clients. |
Cet article a été rédigé en collaboration avec Hugo Cabrol.