TGS

Licenciement injustifié : remise en cause du barème des indemnités

Le 04.03.2019
Barème indemnité licenciement injustifié

Qu'est-ce que le barème des indemnités pour licenciement injustifié ?

Tout a commencé avec l’ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017…

Jusqu’à son application, en cas de licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse, à défaut de réintégration du salarié, la juridiction sociale accordait des dommages et intérêts appréciés, par les juges, en fonction du préjudice subi, sans plancher, hormis celui de six mois pour un salarié ayant une ancienneté de plus de deux ans dans une entreprise d’au moins 11 salariés, et sans plafond. 

S’il existait un barème d'indemnités prud'homales, celui-ci n’était qu’indicatif et restait même relativement peu invoqué par les parties dans le cadre du débat judiciaire.

Désormais, depuis la réforme du Code du travail de 2017, et particulièrement depuis le 24 septembre 2017, la loi a instauré un barème prud'homal obligatoire qui impose aux juges, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, d’octroyer une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés en fonction de l’ancienneté du salarié et adapté pour les entreprises de moins de 11 salariés (article L.1235-3 du Code du travail), sauf exceptions (notamment nullité du licenciement).

 

Barème des indemnités de licenciement injustifié : pourquoi certains Conseils des prud'hommes refusent de l'appliquer ?

Depuis lors, la loi souffre de la résistance d’un certain nombre de Conseils de prud’hommes qui se refusent à appliquer le barème, sur le fondement de normes internationales, à savoir tant les dispositions de la Convention n°158 de l’OIT, selon lesquelles les tribunaux nationaux qui jugent injustifié le licenciement d’un salarié doivent être « habilités à ordonner le versement d’une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée », que de celles de l’article 24 de la Charte Sociale européenne qui permet la reconnaissance du « droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée ».

Pourtant, dans le cadre du texte décrié, le Conseil constitutionnel avait décidé que les dispositions relatives au barème des indemnités, ne méconnaissant pas la garantie des droits ni aucune autre exigence constitutionnelle, étaient conformes à la Constitution (Cons. const. 21-3-2018 n° 2018-761 DC). 

De même, le Conseil d’Etat, saisi d’une requête en référé suspension dirigée contre l'ordonnance précitée avant sa ratification par le Parlement, a jugé que ces dispositions ne violaient pas notamment les principes posés par les textes internationaux visés ci-avant (CE 7-122017 n° 415243).
Le feuilleton judiciaire ne faisait que commencer…

 

Quelles décisions prud'hommales vont à l'encontre du barème ?

Alors que, le 10 septembre 2018, le Conseil de prud’hommes de Saint-Quentin ouvrait la brèche, le Conseil de prud’hommes du Mans prenait position en jugeant conforme à la Convention 158 de l’OIT ledit barème (Cons. Prud’h. Le Mans 26-9-2018 n°17/00538).

Il estimait, notamment, que l’indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi et que, si l’évaluation des dommages-intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, il appartient toujours au juge, dans les bornes du barème, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité. Il considérait également que les dispositions de l’article 24 de la Charte Sociale européenne ne sont pas directement applicables par la juridiction prud’homale. Dès lors, le tumulte des décisions prud’homales a résonné dans les enceintes des palais de justice.

Ainsi, le Conseil des prud’hommes de Troyes, dans une décision divergente, au visa de la charte sociale européenne et de la convention n° 158 de l’OIT, déclare le barème prévu à l’article L. 1235-3 du Code du travail conventionnel, c'est-à-dire contraire au droit international (Cons. Prud’h. Troyes 13-12-2018 n°18/00036).

Puis, c’est au tour notamment des Conseils de prud’hommes d'Amiens, Genoble, Lyon, Angers, d’écarter l’application du barème litigieux en visant notamment les normes  internationales sus-visées. Dans ce mouvement de résistance, un juge départiteur, juge professionnel, a validé l’application dudit barème estimant que le salarié ne démontrait pas l’existence d’un préjudice dont la réparation adéquate serait manifestement rendue impossible par l’application du plafond du barème, seule décision à notre connaissance à ce jour d’un juge départiteur (Cons. Prud’h. Caen 18-12-2018 n°17/00193). 

Si certains auteurs estiment que le barème d’indemnités n’est pas en conformité avec les normes internationales, d’autres, au contraire, restent réservés sur la question de l’effet direct de la Convention n°158 de l’OIT et s’interrogent sur l’invocabilité entre personnes privées de l’article 24 de la Charte Sociale européenne, allant même jusqu’à relever la conformité de la législation française à ce texte.

 

Les entreprises dans l'insécurité juridique

Si d’autres pays européens ont adopté un barème du même type, une remise en cause de celui-ci a pu se faire jour, notamment en Italie et en Finlande. Aujourd’hui, en France, règne un vent d’incertitude sur l’application du barème d’indemnités. Devant l’insécurité juridique créée, il ne peut qu’être conseillé aux entreprises d’être prudentes et de ne pas se fier d’emblée au dit barème. Les Cours d’appel vont se prononcer au fil du temps, avec le risque de décisions non concordantes. C’est ainsi, avec beaucoup d’impatience, que la position de la Cour de cassation reste attendue. Mais, il faudra patienter encore quelques années …

Contactez-nous