Cet article est la quatrième partie d’une série en quatre articles analysant les dangers et idées fausses sur les plus-values des particuliers non professionnels.
La première partie, publiée sur le site de TGS AVOCATS, revient sur le fait que les frais de cession sont en partie réintégrés dans la plus-value de cession d’actifs numériques
La deuxième partie est consacrée au fait que ce régime fiscal peut conduire à déclarer des plus-values en cas de moins-values. Il est conseillé de prendre connaissance de cet article avant de continuer votre lecture.
La troisième partie est consacrée à la question de la valorisation des NFT.
La quatrième partie porte sur le fait qu’il est faux d’affirmer que les moins-values sur des opérations d'achat/revente d'actifs numériques ne sont pas reportables d'une année sur l'autre.
La formule de calcul de la plus ou moins-value
Les plus-values ou moins-values réalisées par des particuliers non professionnels à l’occasion de la cession d’actifs numériques ne sont pas calculées de la même façon que pour les cessions d’actions. Elles dépendent en effet de l’article 150 VH bis du Code général des impôts (CGI).
Cet article prévoit, dans son III, une formule de calcul atypique :
« III. – La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d'une part, le prix de cession et, d'autre part, le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille. »
De façon plus synthétique : plus-value ou moins-value = A - (A x B / C) Avec : A = Prix de cession réduit des frais de transaction B = Valeur d’acquisition du portefeuille, corrigée pour les cessions ultérieures par la soustraction de AxB/C de la cession précédente. C = Valeur du portefeuille au moment de la cession. La détermination de cette valeur est complexe sur des portefeuilles diversifiés, car cela implique de rechercher, pour chaque cession d'un actif numérique, la valeur de tous les autres actifs numériques détenus par ailleurs. |
L'article 150 VH bis du CGI raisonne donc par “portefeuille” et non pas par actif, au contraire de l’achat/revente d’actions où l’on va regarder chaque actif séparément pour déterminer les plus ou moins-values à déclarer.
Il est très important de noter que la notion de “portefeuille” est indépendante de la notion de wallet ou de ledger : le portefeuille au sens de l'article 150 VH bis du CGI vise la totalité des actifs numériques (au sens de l’article L54-10-1 du Code monétaire et financier) possédés par un contribuable, même s’ils sont “stockés” sur différentes plateformes.
Les moins-values sont (parfois) reportables d’une année sur l’autre
Il n’est pas nié que les moins-values sur les cessions de crypto actifs ne sont imputables que sur les plus-values réalisées la même année en l’absence de dispositions prévoyant le contraire.
Néanmoins, l’article 150 VH bis du CGI oblige à raisonner du point de vue du portefeuille global et non pas par actif.
Prenons un premier exemple pour comprendre ce que ce principe implique : un investisseur achète le crypto actif X pour 100 € et le crypto actif Y pour 100 €. Un mois après, X a explosé et vaut 1 000 €, par contre le cours de Y s'est effondré, il ne vaut plus que 10 €. L’investisseur décide de vendre la totalité de ses actifs Y.
Le calcul est : 10 - 10 x (200/1010) = 10 - 10 x 0,198 = + 9,02 €.
L’investisseur constate en quelque sorte une « plus-value fantôme » de 9,02 € au lieu d’une moins-value de 90 € (notre investisseur a en effet acquis Y pour 100 € et l’a revendu 10 €, il a donc fait une moins-value de 90 € sur cette opération).
Imaginons qu’il attende 3 ans pour vendre X, qui vaut désormais 300 €, la formule sera alors :
300 - 300 x (200-1,98/300 = + 101,98 €
(Nous enlevons 1,98 € à la valeur d’acquisition du portefeuille en application de la formule de l’article 150 VH bis. Une correction de la valeur d’acquisition doit en effet être effectuée dès la deuxième cession.)
La plus-value ainsi déclarée, de 101,98 €, est bien inférieure à la plus-value réelle de 200 € puisque l’actif X a été acquis 100 € et cédé 300 €, la différence est de 99,02 € (200 - 101,98).
En effet, c’est la moins-value “réelle” de Y qui est venu s’imputer. L’actif Y a été acquis 100 €, vendu 10 € et une plus-value de 9,02 € a été déclarée, ce qui représente un delta de 99,02 € avec la moins-value réelle. C’est bien cette moins-value qui a été imputée, plusieurs années après avoir été constatée.
En conclusion, les moins-values “réelles” sur la cession d’un actif sont donc bien reportables, théoriquement ad vitam æternam sur une plus-value ultérieure, dès lors que :
> elles ont été déclarées pour un montant inférieur à la réalité (par exemple, toute moins-value réalisée sur un actif plus performant que la moyenne des actifs d’un portefeuille déficitaire au moment de la cession). La différence entre la moins-value “réelle” et la moins-value “déclarée” est reportée.
> elles ont conduit à la déclaration d’une plus-value “fantôme” (par exemple, toute moins-value réalisée au sein d’un portefeuille bénéficiaire au moment de la cession). La différence entre la moins-value “réelle” et la totalité de la plus-value “déclarée” s’imputera sur les plus-values ultérieurement réalisées.
Cela n’aurait donc aucun sens de changer la loi pour permettre le report d’une moins-value d’une année sur l’autre, car cela conduirait en réalité à l’imputer deux fois sur les plus-values ultérieurement réalisées.
Inversement, dans certaines situations, la formule de l'article 150 VH bis peut être grandement défavorable à l’investisseur.
Par exemple, un contribuable achète les crypto actifs X et Y pour 100 € chacun, un an plus tard l’actif X ne vaut plus que 10 € et l’actif Y ne vaut plus que 50 €. Il décide de vendre l’actif Y (qui a donc une performance meilleure que la moyenne du portefeuille composé de X et Y).
Le prix de cession est de 50 €, la valeur d’acquisition est de 200 € (X et Y ont été acquis 100 €) et la valeur du portefeuille au moment de la cession est de 50 € (valeur de X = 10 € et valeur de Y = 50 €).
Le calcul est donc de : 50 - 50 x (200/60) = 50 - 166,67 = - 116,67 €
La moins-value “réelle” de Y est de - 50 €, néanmoins l’application de la formule du 150 VH bis conduira à déclarer une moins-value de - 116,67 €.
L’année d’après, X monte à 200 €, l’investisseur décide de le céder.
Il faut corriger le prix d’acquisition de A x (B/C) de la cession précédente, soit 166,67 €. La valeur d’acquisition du portefeuille à retenir pour la deuxième cession est donc de 200 - 166,67 € = 33,33 €.
Le calcul de la plus-value pour la cession de X à 200 € est donc :
200 - 200 x (33,33/200) = 200 - 33,33 = + 166,67 €.
La plus-value réelle est donc de 100 € (X a été acquis 100 € et vendu 200 €) mais la plus-value déclarée est de 166,67 € !
Dans cette situation, non seulement la moins-value réalisée à la cession de Y en N-1 n’est pas imputable sur la plus-value constatée à la cession de X, mais en plus, le fait d’avoir vendu à perte un actif plus performant que la moyenne du portefeuille au moment de la cession conduit à largement surévaluer la plus-value réalisée l’année suivante !
Il s’agit véritablement d’une double peine. Si X et Y avaient été des actions, la moins-value “réelle” de 50 € constatée à la cession de Y aurait été imputée sur la plus-value “réelle” de 100 € réalisée à la cession de X en N+1. La plus-value après imputation aurait été de 50 €, son imposition au PFU à 30 % conduirait à un impôt à hauteur de 15 €.
Par l’application de la formule du 150 VH bis du CGI, la moins-value suite à la cession de Y ne s’impute pas et la formule conduit à déclarer une plus-value de 166,67 € pour X, également imposée à 30 % (sur la base de l’article 200 C du CGI, il ne s’agit pas à proprement parler du PFU même si le taux est le même). L’imposition s’élève à 50 € soit la totalité de la plus-value réellement réalisée !
Compte tenu de ce danger, il ne serait peut-être pas complètement absurde d'effectuer un comparatif avec le régime fiscal de l’activité habituelle de cessions de crypto actifs (à condition qu'il soit encore temps d'opter pour une imposition au BIC réel) pour certains gros investisseurs ayant essuyé de lourdes pertes avant de réaliser un bénéfice. Malgré la pression fiscale plus importante de ce régime, on ne peut automatiquement l'écarter à la lumière du risque de réaliser des plus-values “fantôme” en application de l’article 150 VH bis.
En conclusion, il semble important de garder ces principes, spécificités et, disons-le, problèmes en tête lorsque l’on aborde le sujet de la fiscalité des actifs numériques.
Il est en réalité urgent de tout simplement changer la formule de calcul. L’article 150 VH bis du CGI est totalement inadapté à sa fonction, dangereux dans un marché aussi volatil, et ses conséquences sont illisibles pour l’investisseur “occasionnel” auquel il a pourtant vocation à s’appliquer.
Découvrez l'accompagnement de nos avocats en droit fiscal.