Fin janvier 2021, l’Autorité de la concurrence a publié une étude sur l’application du droit de la concurrence aux organismes professionnels qui occupent une place centrale pour les acteurs d’un même marché, mais qui peuvent également jouer un rôle de catalyseur ou même facilitateur de pratiques anticoncurrentielles.
Constatant que « le fonctionnement des organismes professionnels peut être propice à des activités anticoncurrentielles, telles que notamment des ententes sur les prix, des échanges d’informations ou encore des actions concertées visant à freiner le développement de la concurrence », l’Autorité de la concurrence relève que « ce risque est structurel dans la mesure où ces organismes rassemblent les acteurs d’un marché, qui sont concurrents les uns des autres ».
La démarche de l’Autorité de la concurrence : réduire les risques d’infraction des organismes professionnels
Dans une démarche visant à favoriser la conformité, l’Autorité de la concurrence tente à travers cette étude de fournir aux organismes professionnels ainsi qu’à leurs membres des repères pour leur permettre de réduire les risques d’infraction, au moment où les sanctions financières qui leur sont applicables vont être décuplées.
Une modification majeure interviendra courant 2021 au titre de la transposition de la directive n°2019/1 du 11 décembre 2018 dite « ECN+ » qui va supprimer le plafond spécifique de sanction jusque-là applicable aux organismes professionnels, limité à 3 millions d’euros de manière forfaitaire dès lors qu’ils n’agissent pas en tant qu’entreprise. Avec la directive « ECN+ », les organismes professionnels s’exposent désormais, en cas d’infraction aux règles de concurrence, à des sanctions pouvant aller jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial cumulé de chacun de leurs membres, démultipliant ainsi le risque financier.
Afin de préparer au mieux les organismes professionnels à cette évolution et favoriser les démarches de conformité de leur part, l’Autorité de la concurrence propose une étude pédagogique destinée aux décideurs, sous la forme d’une grille d’analyse des comportements autorisés et prohibés avec en annexe une liste des DOs et DON’Ts.
Les missions des organismes professionnels : un rôle à jouer pour un fonctionnement efficient et proconcurrentiel du marché
L’Autorité de la concurrence souligne le rôle central que les organismes professionnels jouent ou peuvent jouer en faveur d’une meilleure efficience du fonctionnement des marchés et dans la mise en œuvre des règles de concurrence.
Les organismes professionnels offrent en effet un cadre de services, d’informations et de représentation au bénéfice de leurs membres leur permettant d’améliorer leur compétitivité, et ce, au bénéfice d’un fonctionnement efficient et proconcurrentiel des marchés concernés.
Les activités usuelles des organismes professionnels peuvent être catégorisées de la manière suivante :
> fournir des services et des conseils à leurs membres,
> diffuser des informations sur le marché auprès d’eux,
> représenter l’intérêt collectif de leurs membres auprès des pouvoirs publics,
> définir des normes techniques et édicter de bonnes pratiques, et
> négocier les normes sociales applicables à un secteur.
Les organismes professionnels sont également des interlocuteurs incontournables des autorités de concurrence et ont un rôle central à jouer dans la promotion de la culture du droit de la concurrence auprès de leurs membres.
Toutefois, selon l’Autorité de la concurrence, « un organisme professionnel doit rester dans sa mission de défense, d’information et de conseil de ses adhérents ». C’est « lorsqu’il adopte un comportement susceptible de perturber le fonctionnement concurrentiel normal du marché sur lequel ses membres interviennent » que l’organisme professionnel commet une infraction au droit de la concurrence.
Les activités des organismes professionnels : la liste des pratiques risquées au regard des règles de concurrence
Les organismes professionnels étant, par définition, des vecteurs de rencontres et d’échanges entre entreprises concurrentes, leurs activités peuvent, dans certaines hypothèses, devenir le théâtre ou le catalyseur de pratiques anticoncurrentielles.
Dans son étude, l’Autorité de la concurrence dresse la liste des principales pratiques constatées au sein des organismes professionnels comportant des risques au regard des règles de concurrence.
> Les risques de cartels : L’organisme professionnel peut voir sa responsabilité engagée lorsqu’il a contribué à la mise en œuvre d’un cartel, même de façon subordonnée, accessoire ou passive.
> La diffusion de consignes tarifaires : Même si elles ne sont pas impératives, dans la mesure où les consignes tarifaires diffusées par un organisme professionnel détournent les opérateurs d’une appréhension directe et personnelle de leurs coûts, elles limitent le jeu de la concurrence et constituent des pratiques anticoncurrentielles.
> La diffusion d’informations stratégiques commercialement sensibles : Les échanges d’informations sensibles peuvent être restrictifs de concurrence, notamment lorsqu’ils diminuent l’autonomie de comportement des opérateurs du marché, caractérisant ainsi une pratique concertée et facilitant la collusion.
> Les stratégies d’éviction : Les organismes professionnels peuvent jouer un rôle dans l’élaboration de pratiques visant à exclure du marché les concurrents de leurs membres. Ces pratiques peuvent consister en l’organisation d’un boycott, l’adoption de conditions discriminatoires d’adhésion, ou une application inéquitable de ces conditions, ou encore l’édiction de normes sectorielles indûment restrictives.
> L’interprétation erronée de la réglementation à des fins anticoncurrentielles : Les analyses juridiques diffusées par un organisme professionnel, qui peuvent conduire ses membres à aligner leur politique sur un paramètre de concurrence (comme les prix, les clients, la production), constituent une intervention sur le marché qui peut revêtir un caractère anticoncurrentiel si elles procèdent d’une mauvaise lecture de la réglementation.
> Le lobbying à des fins anticoncurrentielles : Le lobbying est, en principe, une pratique admise pour la défense des intérêts de ses membres auprès des pouvoirs publics. Néanmoins pour être en conformité avec le droit de la concurrence, l’Autorité de la concurrence énonce les principes à respecter, tels que laisser à certains membres la liberté de prendre une position différente ou critique vis-à-vis de celle de l’organisme, ou encore, ne pas se livrer à des discours de dénigrement ni présenter des informations trompeuses aux autorités publiques.
> Les négociations collectives à des fins anticoncurrentielles : Les conventions collectives ne relèvent pas, en principe, du champ du droit de la concurrence tant qu’elles sont conclues dans ce cadre spécifique entre partenaires sociaux et destinées à améliorer les conditions d’emploi et de travail. Cependant, si l’une de ces conditions fait défaut, l’accord collectif entre dans le champ de l’interdiction des pratiques anticoncurrentielles et peut être sanctionné en conséquence.
Certaines de ces pratiques peuvent être exemptées, soit parce qu’elles découlent directement et nécessairement de l’application de textes législatifs ou réglementaires, soit parce qu’elles ont pour effet d’assurer un progrès économique dans les conditions de droit commun. Les cas d’exemption apparaissent toutefois exceptionnels.
À travers cette étude, l’Autorité de la concurrence souhaite que les organismes professionnels deviennent de véritables « acteurs au service de la conformité en éclairant leurs membres sur le risque concurrence dans le cadre de leurs actions de formation et d’information ».