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Le « bug » des plus-values de cession d’actifs numériques

Le 29.11.2022 0 commentaires
plus-values de cession d'actifs numériques

Article initialement publié en mai 2022 dans Le Journal du Management Juridique d'entreprises n°88, spécial droit fiscal.

L’application de la loi pour le calcul des plus-values de cession d’actifs numériques réalisées par des particuliers non professionnel conduit à la réintégration d’une partie des frais de cessions dans la base imposable. D’où provient ce « bug » et comment s’en prémunir ?

Plus-values de cession d’actifs numériques : un calcul atypique

Les plus-values de cession d'actifs numériques réalisées par des particuliers non professionnels ne sont pas calculées de la même façon que les plus-values sur cessions d’actions.

L’article 150 VH bis du Code général des impôts prévoit en effet, dans son III, une formule de calcul atypique :

« III. – La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d'une part, le prix de cession et, d'autre part, le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille. »

De façon plus synthétique : plus-value = A - A x B / C

Avec :

A = Prix de cession réduit des frais de transaction

B = Valeur d’acquisition du portefeuille, corrigée pour les cessions ultérieures par la soustraction de AxB/C de la cession précédente.

C = Valeur du portefeuille au moment de la cession

Il a déjà été souligné que cette formule, proche de celle du calcul d’une plus-value dans le cadre d’un PEA, est particulièrement difficile à appliquer :

> A est normalement facile à déterminer, il s’agit simplement du prix de cession réduit de certains frais,

> B, la valeur d’acquisition du portefeuille, peut être compliquée à retracer, par exemple si certains actifs sont soumis à d’autres régimes et doivent faire l’objet d’un traitement spécifique au sein du portefeuille (comme par exemple les actifs issus de minages), de plus le B dépend du C pour les corrections successives,

> C : il est en pratique impossible de déterminer précisément la valeur du portefeuille au moment de la cession. En effet, cela revient à déterminer la valeur exacte de chaque actif numérique sur chaque plateforme/ wallet/ ledger et assimilés du contribuable à l’instant précis de la cession . Au-delà de la difficulté pratique - il faut « radiographier » l’intégralité du patrimoine à chaque cession - le simple fait que les actifs numériques soient, par essence, échangés sur des marchés non réglementés rend cette détermination impossible : un actif numérique n’aura tout simplement pas la même valeur sur les différentes plateformes où il s’échange, ce qui fait par ailleurs le bonheur des bots dit « d’arbitrage » qui jouent sur ces différences de valorisation parfois substantielles.

Le « bug » de la loi : les frais de cession sont réintégrés dans la plus-value de cession d’actifs numériques 

Il existe également un autre « bug » dans cette formule, directement liée à la définition du prix de cession dans cet article :

« A. – Le prix de cession à retenir est le prix réel perçu ou la valeur de la contrepartie obtenue par le cédant, le cas échéant comprenant la soulte qu'il a reçue ou minoré de la soulte qu'il a versée lors de cette cession. Le prix de cession est réduit, sur justificatifs, des frais supportés par le cédant à l'occasion de cette cession. »

Appliquer littéralement la loi aboutit de facto à réintégrer une partie des frais de transaction à la plus-value.

En effet, prenons l’exemple d’un portefeuille composé d’un seul actif numérique acheté 10 €, vendu 100 € avec 4 € de frais de transaction. En toute logique, la plus-value devrait être de 86 € (100 € - 10 € - 4 €).

Toutefois en application de la formule de l’article 150 VH bis, la plus-value imposable est de 86,40 €.

Le prix de cession réduit des frais de transaction est de 96 € (A), la valeur d’acquisition du portefeuille est de 10 € (B) et sa valeur au moment de la cession est de 100 € (C), soit 96-(10x96/100) = 86,40 €

Si la réintégration est dans bien des cas négligeable, sauf dans les opérations avec des frais ou une soulte importante, elle s’applique toutefois à chaque cession effectuée.

Tout le problème vient de la formule A – (B x A / C). Le calcul serait juste si le deuxième A dans la parenthèse ne prenait en compte que le prix de cession sans les frais de la transaction.

Néanmoins, les dispositions du 150 VH bis ne permettent pas cette interprétation :

« III. – La plus ou moins-value brute réalisée lors de la cession de biens ou droits mentionnés au I est égale à la différence entre, d'une part, le prix de cession et, d'autre part, le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille.

A - Le prix de cession à retenir est le prix réel perçu ou la valeur de la contrepartie obtenue par le cédant, le cas échéant comprenant la soulte qu'il a reçue ou minorée de la soulte qu'il a versée lors de cette cession.

Le prix de cession est réduit, sur justificatifs, des frais supportés par le cédant à l'occasion de cette cession. »

Les commentaires de l’administration fiscale, sous la référence BOI-RPPM-PVBMC-30-20, retiennent également la même définition du prix de cession – c’est à-dire après déduction des frais de transaction - tout au long de la formule :

« Conformément au III de l'article 150 VH bis du code général des impôts (CGI), la plus ou moins-value brute est égale à la différence entre, d'une part, le prix de cession et, d'autre part, le produit du prix total d'acquisition de l'ensemble du portefeuille d'actifs numériques par le quotient du prix de cession sur la valeur globale de ce portefeuille. Plus ou moins-value brute = Prix de cession – [Prix total d'acquisition x Prix de cession / Valeur globale du portefeuille]

[…] En application du A du III de l'article 150 VH bis du CGI, le prix de cession à retenir est le prix réel perçu ou la valeur de la contrepartie obtenue par le cédant, le cas échéant comprenant la soulte qu'il a reçue ou minoré de la soulte qu'il a versée lors de cette cession. Il est réduit, sur justificatifs, des frais supportés par le cédant à l'occasion de la cession. »

Correction et mise en garde

Il est toutefois important de noter que ce « bug » est corrigé par le formulaire 2086 pour la déclaration des plus ou moins-values de cessions d'actifs numériques. Il distingue en effet le Prix de cession net des soultes (ligne 217) du Prix de cession net des frais et soultes (ligne 218).

La formule de calcul devient alors :

Prix de cession net des frais – (prix de cession « brut » x valeur d’acquisition du portefeuille / valeur du portefeuille)

Ceci est explicité dans la notice :

« Prix de cession […] Les frais déductibles, quels qu'ils soient, ne viennent pas en diminution du prix de cession pour la détermination du quotient du prix de cession sur la valeur globale du portefeuille (ils doivent seulement être déduits du prix de cession qui constitue le premier terme de la différence prévue dans la formule de calcul mentionnée ci-dessus). »

Toutefois, cette notice n’est pas opposable à l’administration. En théorie, un contribuable qui aurait déclaré sa plus-value conformément à la notice pourrait parfaitement être redressé au motif qu’il aurait dû y réintégrer une partie de ses frais de cession ou d’éventuelles soultes. Si nous imaginons mal un tel cas se produire en pratique, le risque mérite néanmoins à notre sens d’être soulevé pour des opérations portant sur des montants importants avec des frais déductibles significatifs.

Ensuite, compte tenu de la difficulté d’appliquer cette formule à des cessions successives, de nombreux particuliers passent par des entreprises spécialisées pour calculer leur plus-value. Il est difficile de savoir quelle formule est alors appliquée (celle de la loi ou la version « corrigée » de la notice). Il conviendra pour les contribuables de faire preuve d’une grande prudence face aux plus-values calculées par ces entreprises et organismes tiers.

Si cette erreur rédactionnelle est somme toute bénigne dans la majorité des cas, elle est néanmoins symptomatique du régime fiscal des actifs numériques dans son ensemble. Les rares articles de lois sur le sujet sont imprécis et insuffisants, profondément déconnectés de la réalité de ce secteur, et apparaissent de plus en plus clairement incapables d’assumer leur rôle de fondations de ce pan du droit qu’il reste à bâtir.

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